Souvent mon intérêt dans le travail se porte sur le territoire critique relationnel du seuil entre le corps et l'environnement. Je manipule la porosité de cet "entre", comme le définit Francois Jullien, pour faire apparaître une collusion intérieur-exterieur. Alors un espace que je qualifie de "blanc", un espace des possibles, se manifeste pour permettre de ressentir et de percevoir en même temps. Ainsi je me suis intéressée au rôle de la peau dans ce processus et ai élaboré une pièce sonore (frictions) à partir de sons enregistrés sur la peau durant des actions aquatiques. L'origine des pièces émerge souvent lors de tentative de remettre à ma mesure les choses qui me troublent dans ce qui m'entoure. C'est ainsi qu'est née safty glasses. Quotidiennement je passais devant un aquarium encrassé et pour pouvoir observer les poissons j'étais obligée d'aller dans une petite serre située au dessus. J'ai donc imaginé de projeter en direct les images de la surface de l'aquarium sur la vitre latérale, en reliant les espaces et les temps par l'entremise d'un extrait sonore reprenant en partie L'imparfait ou les poissons volants de Francis Ponge. 

Depuis ces expériences j'utilise de façon préférentielle la photographie, la vidéo ou des installations mêlant différents médiums (Entente secrète ou Sidéré), pourtant dans le processus de travail je me positionne comme un sculpteur. Par exemple lors du traitement d'un son, j'ajoute et je retire des morceaux de matière sonore pour obtenir une forme, dans une recherche pour combiner réalité et esthétique avec authenticité et radicalité. Ainsi dans le travail je questionne mon propre regard, le cadre, pour explorer d'autres possibles, souligner les tensions, révéler les choses cachées, afin de rendre visible-audible un autre monde, un "lieu blanc".

Par ailleurs j'ai beaucoup d'intérêt pour les artistes des années soixante-dix, en particulier pour le body-art, la performance et le début de la vidéo. Je pense qu'il y avait alors un désir de libérer le corps en utilisant de nouveaux moyens technologiques. Entre autres je ressens une affinité particulière avec certaines oeuvres de Dan Graham. Il est étrange de faire un travail et de découvrir a posteriori qu'il peut être lié à des aspects déterminés des intérêts de cet artiste, comme la tension de la surface du corps ou la question du flux entre l'intérieur et l'extérieur dans l'espace-temps du spectateur. Un trait d'union se tisse alors entre les deux. Ma propre façon de traiter le corps est de l'ordre du sensoriel et du perceptible sans référence au genre ou à la sexualité. Chaque corps a sa propre expression et sa façon d'être sensiblement au monde. Sans être didactique, j'aimerais faire partager des expériences corporelles et sensorielles dans le but de faire découvrir quelque chose de différent au déjà perçu.